Mais revenons au raid en lui-même :
Physiquement, ce raid demande beaucoup d’endurance surtout
les 2 premiers jours qui sont consacrés à des chemins
de bois, assez larges et très roulants permettant le passage
de motoneiges l’hiver et de 4 roues l’été (‘scouters des
neiges’ et ‘quads’ en bon français de France). Souvent, les routiers
font d’excellents temps les 2 premiers jours puisque la moyenne peut
aller jusqu’à 25-30 km /h. Bien sûr, les difficultés
sont présentes puisqu’il faut cumuler 1 600 m de dénivelé
par jour mais sur une moyenne de 105 km par jour, ce qui est relativement
faisable. La partie la plus difficile arrive le 3ième
jour avec un 85 km à travers le bois et surtout la ‘bouette’
(la boue en français) !! Et oui, contrairement aux chemins secs
que l’on peut retrouver dans les Alpes ou le sud de la France, la véritable
forêt de nos cousins est terriblement humide et très dense,
ce qui signifie que les bains de bouette, les piqûres de maringouins
(gros moustiques méchants du Québec) ou de brûlots
(mouches à chevreuils) sont constamment au rendez-vous. Il faut
donc faire avec et marcher parfois, le vélo sur l’épaule
ou à bout de bras, en enfonçant chacun de nos pas dans
la ‘swomp’ (une potion noire, visqueuse et puante) tout en fermant la
bouche pour ne pas avaler ces maudites bestioles. Malheureusement, vu
leur nombres et leur voracité, on doit parfois les supporter
et revenir avec des têtes ‘d’elephant-man’ ou ‘d’elephant-woman’.
J’ai d’ailleurs cru remarquer qu’ils aimaient beaucoup le sang français,
je ne saurais dire pourquoi d’ailleurs; un mélange de vin, de
pain, de boursin...etc , peut être ?


Mentalement, par contre ce raid est vraiment un raid raide!!
Dans l’immensité de la forêt québécoise,
qu’il fasse beau temps ou mauvais temps, on a parfois l’impression de
traverser un désert. Pendant des km et des km, d’immenses zones
de coupes à blanc sillonnent la forêt et là il faut
lutter contre le vent, essayer à tous prix de prendre la roue
mais encore faut-il en trouver une. ‘Y a tu quelqu’un icit ?’ (Y a-t-il
quelqu’un dans le coin ?). Et si on lève le nez, le bois s’étend
alors à perte de vue et dans la partie éclaircie, on voit
ses chums (ses camarades) au loin qui avancent comme des mouches sur
une carte. Bientôt ce sera notre tour de faire la mouche mais
de nouveau en haut de la montée, le spectacle recommence encore
et encore, des mouches, des mouches, des mouches, du bois, du bois,
du bois. Et malgré le nombre de mouches, on se sent seul, perdu
au milieu de nul part. Ces 2 premiers jours sont terribles pour le moral
et ce raid est alors le Raid qui forge le caractère!! Le Raid
qui vous met à l'épreuve sans cesse et qui va vous chercher
à l'intérieur!!! Une sorte de combat continu avec vous-même!!
GRRRRR !!!
Le 3ième jour, lui, a 2 facettes :
soit il devient un terrain de jeu pour les plus assoiffés de
sensations, soit il devient LA Galère pour les moins techniques
ou les plus malchanceux. Mais c’est enfin un vrai parcours de vélo
de montagne où les montées et les descentes se succèdent.
On y retrouve la forêt, le bois, la bouette, la swomp, des chemins
techniques le long d’une rivière, parsemés de trous, de
racines, de pierres, des chemins en graviers où l’attention doit
être à son plus haut, des chemins d’asphalte (de goudron)
où le retour à la civilisation fait un gros ‘boum’ dans
le fond du coeur, bref, tout est là. Les paysages changent vite,
la course va vite, il faut arriver. Et même si la fatigue s’est
accumulée pendant 3 jours, le taux d’adrénaline est plus
fort que jamais. C’est le jour de l’arrivée, donc on se doit
d’arriver, bien évidemment et coûte que coûte!!
Mais je ne vous ai pas parlé des ennuis physiques
ou mécaniques !!! Comme dans tout raid, chacun doit porter sa
croix. Plusieurs abandonneront à cause de blessures suite à
des chutes ou encore des maux qu’ils n’avaient jamais eu auparavant :
un gros mal de foufounes (les fesses en québécois) ou
de dos insupportable ou mieux, une grosse irritation entre les jambes,
‘aie !’ (‘outch !’en québécois), irritation qui monte
à la tête et qui fait arrêter même le plus
mordus de vélo de montagne. Encore une fois, le physique rejoint
le moral, dirait-on.
Mais quand le physique est là, c’est parfois la
machine qui ne suit pas. Et au Québec, je peux vous dire qu’elles
souffrent les machines car les conditions du sous bois sont particulièrement
déplorables dues à un fort taux d’humidité. Donc,
même si les entraînements prédisaient une bonne forme
physique, ils n'avaient pas prédis le destin de chacun. Non seulement,
il faut passer l'épreuve physique du raid, mais en plus l’épreuve
mécanique du vélo: l'un arrivera sans selle, ça
fait mal !! l'autre sans chaîne, pas de dérive chaîne
parce que trop lourd, peut être ? ou encore avec un truc bizarre
dans le pneu, ô, une ‘tripe’ à l’air (chambre à
air à l’air)!!! ou bien avec une seule pédale, l'autre
ayant disparu miraculeusement dans la swomp (marécage) !!! ou
enfin, ‘la cerise sur le sunday’ (la cerise sur le gâteau), celui
ou celle qui arrivera sans freins, donc forcé(e) de courir dans
toutes les descentes !!! etc.

Mais le plus beau dans tout cela, c'est que la plupart
des coureurs arriveront à destination!!!
Et ça, grâce à qui ?
- grâce aux encouragements de chacun sur le parcours
car on est tous dans la même galère, des ‘lâches
pas mon homme/ma fille, c'est bientôt fini’, des ‘vas-y, tu tiens
le bon bout’, des ‘bon courage!’, des ‘let's go’...
- grâce aux bénévoles, des gars, des
filles qui applaudissent, la pluie dans la figure et qui répètent
‘c'est bon, allez!!’, des ambulanciers qui se plient en 4 et se mettent
à 3 pour te soigner une petite blessure due à une chute
idiote sur un billot de bois, des bras qui se tendent pour te récupérer
en bas d'une pente parce que ta machine s'est emballée (ouf!),
un gars en 4 roues qui te suit un bout pour vérifier que tout
va bien et qui te demande ‘comment va ma ptite française ?’ et
enfin Une bénévole, unique en son genre, qui te prend
dans ses bras, dans lesquels tu peux pleurer un bon coup pour mieux
repartir parce qu'elle t'ordonne de la retrouver au prochain ravitaillement.


Voilà donc pour l’ambiance qui règne dans
ce Raid, une ambiance chaleureuse, une ambiance à la québécoise!
Ensuite, à toi de décider si tu ‘lâcheras’
ou tu ‘lâcheras pas’!! tu te donnes des excuses bidons ‘et si
je faisais un tour de 4 roues pour rentrer, pourquoi pas, ce serait
une belle expérience?’ Ou encore des excuses plus sensées
‘mais si je continue, je vais me péter la fiole (casser la margoulette),
et rouler sans freins, c'est débile, trop jeune pour mourir!!’
Et puis, non, tout à coup tout devient claire et tu te reprends:
‘ça va pas la tête, qu'est ce qu'elle va penser la gang
(bandes de copains) du club ? Tu serais la seule à ne pas finir
?’ Ou encore ‘et ton beau chum (ton petit copain), il ne sera pas très
fier de toi si tu ne finis pas’. Alors non, tu ne lâcheras pas,
ça prendra le temps que ça prendra mais tu ne lâcheras
pas et tu repars en lançant un pouce en l'air à la Madame
unique en son genre. Un signe de victoire et un cri ‘on se retrouve
au prochain relais!!’ Et quand tu y arrives, au prochain relais, le
sourire dans la face, tu lui dis 'coucou, je suis là!'. Et là,
tu sens que tu fais plaisir à voir car la Madame hystérique
se met à hurler de joie alors ça te redonne encore un
‘Go’ pour continuer de plus belle.

Et c'est comme ça que tu passes l'arrivée,
fier ou fière de n'avoir pas craqué(e) même si la
dernière journée a été une galère
et que tes espoirs de battre le gars ou la fille de devant se sont volatilisés.
Le plus important dans tous les raids, que ce soit en
France ou au Québec, c’est d’aller au fond de soi-même,
de faire parler ses tripes, d’aller au bout de son rêve, de sauver
sa fierté et surtout de ne pas avoir de regrets.

Philippe Souveton
Pour information, lors de ce 10ième
Raid, Monsieur Pierre Harvey a fini 5ième au classement
général (mais 1er de sa catégorie) en
11h53:11 suivi de Gilles Morneau en 11h55:29, un autre gars connu du
Québec pour avoir remporté quelques belles courses dans
le passé. La victoire a été remporté par
Neil Grover en 11h37:28, suivi de Sébastien Delorme en 11h41:59
et Philippe Souveton en 11h44:12, un maudit français sur le podium
(expression typiquement québécoise pour parler des français).
Le quatrième est un certain Blair Saunders en 11h52:06 qu’il
faut citer car on ne parle jamais des 4ième. Et bien
sûr, je n’oublie pas les femmes dont la première, une américaine,
championne sur route Miss Johanne Uhlmann en 13h58 :19, 111ième
au général et une québécoise pure
laine (pure beurre) Odette Lapierre en 14h25:34, 147ième
au général. Bravo les filles!!!